lundi 30 août 2010

Chroniques du dépanneur

- Sitôt présentées, sitôt achevées -

Les gens ne se rendent pas compte de ce qu'ils disent. Chacun voit toujours midi à sa porte, et on le réalise d'autant mieux quand on tient un commerce.
Hier, une femme, entrant dans le dépanneur, se met à frissonner à cause de la clim. Elle se tourne alors vers moi, et me dit : "Fait froid chez vous! Mais vous ne pouvez pas vous plaindre, car nous autres, dehors, on cuit!" Pas une seconde, elle n'a pensé que je ne faisais pas partie des meubles, que je ne m'éveillais pas magiquement dans le magasin tous les matins à six heures. L'idée que j'avais moi-même dû braver la chaleur pour venir prendre mon service ne l'a pas effleurée. Pas plus que l'hypothèse selon laquelle j'aurais préféré, moi, dorer gentiment au soleil plutôt que de me tenir debout derrière un tiroir-caisse. C'est comme le type qui a constaté "vous avez de la chance, avec la clim, vous, vous n'avez pas besoin de piscine!"
En effet.

L'envers de l'anecdote, c'est que je suis d'autant plus reconnaissante envers les jeunes hommes (et les moins jeunes, d'ailleurs) qui me sourient timidement quand j'encaisse leur argent. Eux au moins, ont assez d'imagination pour deviner que je ne porte pas de t-shirt jaune soleil sans y être obligée :)

Ça me fait penser à ce que raconte l'auteur du blog Les libraires se cachent pour mourir. Certains clients ont du mal à concevoir que nous ne sommes pas les entités tutélaires de nos commerces. Surtout dans ces villes où les gens ont l'habitude d'obtenir tout ce qu'ils souhaitent, à n'importe quelle heure. Je crois qu'ils nous voient comme des esprits, incarnant l'idée du service à la clientèle, mais pas comme de vraies personnes avec de vraies vies.
Je trouve ça terrifiant, parce que la plupart des gens ont aussi une opinion sur tout, et je me demande, du coup, sur quoi ils la fondent. Comment juger du salaire des ouvriers ou de la position des fonctionnaires, quand ils ne sont à nos yeux que la matérialisation charnelle d'un concept?

En route vers l'effacement

Dans ces circonstances, je pense que l'avantage de travailler au dépanneur, c'est que j'y étais seule la plupart du temps. Du coup, j'y avais encore une certaine réalité. Les gens pouvaient être contents - ou pas - de découvrir en arrivant qu'aujourd'hui, c'était moi qui tenait les rênes. Que va-t-il se passer à IGA? Je n'y serai plus qu'une caissière parmi dix autres... Robot, surface interchangeable dont on ne retient pas les traits, greffée aléatoirement à la caisse numéro 4 plutôt qu'à la 3. Je comprends pourquoi les caissières sont souvent bien maquillées. Au bout d'un moment, il faut qu'elles redessinent leurs contours, qu'elles les accentuent, il faut que, malgré l'uniforme, elles puissent encore se reconnaître quand elles se regardent dans le miroir. Faute de quoi il ne restera plus d'elles, au bout d'années de labeur, qu'une silhouette sans personnalité, l'image d'un objet utilitaire et jetable.

2 commentaires:

  1. Ah mais, les clients se souviennent de leurs caissières ! Ils choisissent même les caisses en fonction... Je suis toujours poli et souriant envers les caissier(e)s, je pensais naïvement que tout le monde faisait de même ! :D (je rigole, je sais que les autres sont des goujats).

    RépondreSupprimer
  2. Bon, après, il faut aussi préciser que je ne raconte que des anecdotes, et il ne faut pas les généraliser : la plupart des clients sont, au pire, juste polis. Je fais moi-même partie d'une catégorie de personnes peu extraverties, et j'entame rarement des conversations avec les commerçants. La majorité des gens sont ainsi, je pense, réservés ou préoccupés. Mais c'est plus facile de se rappeler des chieurs, et puis, c'est plus marrant à raconter, aussi :P

    RépondreSupprimer