vendredi 30 novembre 2012

Chapitre VII - S'affranchir

Nous voilà installés, depuis dimanche, en fait. Nous partageons la maison avec trois jeunes Coréens et les propriétaires. C'est une grande maison, lumineuse, avec une terrasse enclose où l'on peut fumer, et située dans une rue calme de Victoria Park.

La cour et l'allée devant la maison

La façade
Chez les Coréens, on retire ses chaussures avant d'entrer
Le séjour vu depuis l'entrée
Le séjour, de l'angle opposé
La terrasse
Le couloir pour accéder à la chambre, avec la salle de bain à droite
La chambre
L'autre côté de la chambre... avec une vraie connexion Internet!
La buanderie. Le soir on fume de ce côté-là de la maison

Perth est bâtie sur le modèle des villes américaines. Seul le centre-ville s'appelle vraiment Perth. Si on y trouve quelques immeubles d'habitation, il est surtout constitué de boutiques et de cafés, et respire le luxe - mais pas de manière ostentatoire.
Tout autour, rayonnent les banlieues. Victoria Park est située au sud de la Swan River, à une quinzaine de minutes de la gare centrale. Le long d'Albany Highway, sa principale rue commerçante, s'étagent les avenues résidentielles. Larges, aérées, presque dénuées de circulation (sauf matins et soirs, j'imagine), elles pourraient évoquer le générique de Weeds. Mais elles offrent de petits havres de calme, où chaque pas dérange un grillon, et où l'air ne résonne que des craquements des toitures métalliques.
Albany Highway
Albany Highway encore. Les trottoirs sont souvent partiellement couverts
Albany Highway toujours
Manchester Street, où nous habitons

Végétation omniprésente et parfumée
Toits métalliques et en tuiles, accords ensoleillés

Samedi, nous avons été à la mer. 45 minutes aller, et nous sommes restés... dix minutes. Le temps change très vite à Perth. Les vents marins ont tôt fait de refroidir les boulevards rectilignes, et ce soir-là, l'orage clignotait au-dessus des buildings.




En fait, elle est très bonne :D

Chroniques du backpack et d'ailleurs

Je ne sais plus où chercher du travail. J'ai postulé auprès de la principale chaîne de grandes et petites surfaces, Woolworths, qui possède aussi les BWS, magasins d'alcool. J'ai tenté ma chance auprès d'une épicerie 24/24 et d'une librairie, mais personne ne veut engager un non-résident. Comme je suis déjà formée aux postes que je brigue, ça me décourage un peu. C'est après-midi, la mort dans l'âme, j'ai voulu déposer un CV dans une agence d'Intérim... qui ne s'occupe pas des petites gens comme moi.

C'est difficile de dire comment je me sens. Débarquer à l'étranger avec l'intention de s'y établir à moyen-terme donne facilement l'impression d'être rejeté. Les gens habitent cet endroit que vous convoitez, ils en connaissent les moindres aspects, y ont leurs habitudes, leur travail, leur famille. Pour vous, chaque carrefour est une surprise, chaque démarche un jet de dés. Rien ne vous est acquis.
Cette fois comme la précédente, je suis partie parce que j'avais peur de m'ensevelir sous mes propres certitudes, de m'assoupir dans le confort d'un quotidien que rien n'ébranle. Je suis certaine que l'effort est louable, mais il demande beaucoup de volonté! Ainsi qu'une capacité que je maîtrise mal : celle de vivre chaque jour après l'autre, pas à pas, sans se projeter dans l'avenir avec angoisse. Ce qui m'est le plus difficile, c'est de me lever chaque matin en pensant à ma journée uniquement, et pas aux hypothétiques trois prochaines semaines. Mais c'est une condition sine qua non : faire autrement, c'est juste un coup à sombrer dans la déprime et le doute.

On peut donc dire que je suis déprimée et en plein doute, mais que je lutte tous les jours pour ne pas y accorder d'importance et ne pas laisser mon état anéantir mes efforts d'intégration :)

Et puis, j'aime autant accepter la difficulté et admettre que j'ai du mal, plutôt que de me la jouer "je sais tout, je maîtrise". A ce propos, Mathias et moi avons fait preuve d'une cohésion, d'une symbiose hors du commun quand il a fallu laminer un pauvre Frenchie bourré, samedi soir!
Pour commencer, le gars s'invite à notre table et s'assoit à côté de moi. Normal, me direz-vous. Sauf que la dernière fois que nous l'avions vu, il était avec sa copine, et comme elle s'était assise à côté de Mathias, il l'avait poussé, me laissant seule face à eux trois, en disant "Ça te dérange pas, c'est ma copine, tu comprends".
J'ai donc observé avec intérêt son petit manège pour se rapprocher de moi, m'effleurer, m'attraper par le bras... Sauf qu'à force d'essayer de lui échapper, j'étais sur le point de tomber du banc lol

On lui a offert un verre d'ailleurs, à ce gars, et comme il était plus de 22h, la meuf de l'accueil a tenté de nous confisquer le cubi.Vous imaginez? Vous avez 28 ou 29 ans, vous sirotez un verre en fumant votre clope à la terrasse, sans élever la voix, et on vient vous confisquer votre alcool comme à un lycéen en internat?

C'est d'ailleurs l'origine du dépeçage en règle. Comme nous exprimions une certaine irritation envers le règlement de l'auberge, compte-tenu de ce que nous étions des clients et non des gosses placés là par décision de justice, Max (appelons-le Max), nous fit remarquer la nécessité des règlements et confessa que, même s'il appréciait les anarchistes, ils ne soutenaient qu'une vaine utopie. Interloqués, nous lui rétorquâmes que certes, oui, mais toute loi n'est pas bonne à prendre et les législations diffèrent d'un endroit à l'autre.
Max adopta alors une nouvelle tactique. Sur un ton calme, détachant bien les syllabes - enfin, autant que possible vu son état -, il nous expliqua que chaque établissement avait le droit d'établir ses propres règles (en effet, l'interdiction de boire après 22h n'est pas constitutive de l'Australie), pour le bien commun, et que refuser de les accepter revenait à faire preuve d'immaturité, même si nous n'avions été informés de ces règles qu'après avoir payé.
Un peu échaudé par son ton paternaliste, Mathias lui demanda s'il aurait été prêt à faire n'importe quoi* sous prétexte de respecter un règlement dont il n'aurait été informé qu'après l'avoir accepté. Max dit que l'exemple était extrême et que la société ne pouvait fonctionner que si on en respectait les normes et les attentes implicites, sans broncher. Il dit aussi qu'il ne comprenait pas pourquoi nous nous sentions agressés, mais si vous vous sentez agressés - Non, on est juste pas d'accord, rien de grave - Oui, c'est ce que je dis, vous vous sentez agressés!
Mathias remarqua : "Donc tu vas vite rentrer en France, et installer ta femme enceinte derrière une barrière blanche (c'est vrai quoi, Rég, vous auriez pu peindre la votre en bleu :D) C'est ce qu'on attend de toi, après tout."
Max prit un air effaré, son regard se troubla, il se tut un moment, puis décréta que c'était "plus cool du tout, cette soirée". Il resta là, et je lui dis qu'il n'était pas obligé de nous tenir compagnie, et que nous étions désolés si nous l'avions vexé, mais qu'à la base nous ne faisions que défendre un point de vue plus modéré que le sien sur le respect des lois. Max secoua la tête d'un air peiné, fit "non non je vais rester" et replongea dans le fond de son verre. C'est là que j'intervins, armée de ma subtilité légendaire : "Tu sais, lui dis-je, tu n'es pas obligé. On n'a pas besoin de toi. C'était sympa de venir causer, mais on n'a pas attendu toute la soirée qu'une bonne âme vienne nous égayer. On n'est pas là, en train de pleurer parce qu'on n'a pas d'amis. Si tu veux rester, c'est cool, si tu veux pas, je te promets qu'on s'en sortira". (Mathias a dit qu'il était très fier de moi lol)
Et vous savez quoi? Après ça, il a accepté de reprendre une conversation normale. Genre, le mec nous a pris pour des noobs, des petits jeunes intimidés mais rebelles qui voyagent pour la première fois de leur vie. Et là, il découvre qu'on a le même âge, qu'on n'en est pas à notre premier départ, et il est tout déconfit, d'autant qu'il se rend compte qu'en même pas deux semaines, on a trouvé un appart, quand lui et ses copains galèrent toujours.

* Ceux d'entre vous qui connaissent Mathias se douteront que derrière ce sobre "n'importe quoi" se cache en réalité un exemple pas politiquement correct et censuré pour cette raison :P

Je vous raconte ça, parce que je n'avais jamais fréquenté ce genre d'endroits où se rassemblent beaucoup de gens, et que c'est incroyable de voir combien se la pètent, combien se comportent comme s'ils avaient quelque chose à apprendre aux autres, du simple fait qu'ils sont là depuis trois semaines. Mais on est des milliers à faire ce qu'on fait, il n'y a aucune fierté autre que personnelle à en tirer. On n'en devient pas meilleur ou plus intelligent (ou du moins faut-il le vouloir).
J'ai écouté pas mal des conseils qui m'ont été donnés, mais je ne peux pas m'empêcher de sourire quand on me dit "tu vas voir, généralement ça prend deux semaines". Parce que ce sont les mêmes qui sont toujours là, et les mêmes qui t'avertissent qu'il faut te méfier des Aborigènes, les "Abo" comme ils disent, "et je te dis ça, je suis pas raciste hein, sûrement qu'il y en a des différents, mais moi tous ceux que j'ai vus ils sont payés 800$ par mois par le gouvernement, c'est pour s'excuser ou un truc comme ça - tu sais, les Abo, c'est ceux qui vivaient ici avant - et ils font rien avec, ils font que picoler et ils sont super violents, tiens d'ailleurs moi l'autre jour..."
J'ai un peu de mal à respecter quelqu'un pour qui la vie se résume à des définitions simples. Le même qui, apprenant que nous envisageons d'aller au Japon, n'a rien d'autre à en dire que "Le Japon, pas évident, ils n'aiment pas trop les étrangers, là-bas."

Je ne sais pas, on ne doit voir des gens que ce qu'on a envie d'en voir. Moi, j'ai vu un Aborigène ivre, et un autre qui ressemblait à un possédé avec ses yeux presque intégralement noirs, complètement parti. J'ai aussi vu un blanc à la limite du coma éthylique en plein après-midi à la gare, des Français qui buvaient à 11h a.m et fumaient des joints deux heures avant d'aller au taf, et des "Abo" qui essayaient de se faire du fric légalement.

J'ai l'impression qu'au backpack, certains nous ont pris pour deux prétentieux qui ne se mélangeaient pas, ou, comme la future championne de X-Factor (faudra que j'en reparle, de celle-là!), pour des gens très timides. Ils ne se rendent pas compte que le monde ne tourne pas autour d'eux. On s'en est fait, des amis, juste, c'est pas eux. Jacks, le mec qui nous a introduit auprès des Coréens, a même dit que nous ne ressemblions pas aux autres Français, et a ajouté que Mathias était "very handsome" ;)

Ce que je veux dire, c'est que je préfère avoir peur que de leur ressembler, parce qu'en voyageant ils emportent toutes leurs certitudes avec eux, et que ça ne sert à rien. Ca les empêche de voir, de regarder même, pour commencer. Arriver quelque part et redéployer son univers autour de soi? Autant rester chez soi.

3 commentaires:

  1. C'te conclusion...
    Je partage complètement ce sentiment, et j'ai eu le même ressenti cet été quand j'ai parlé aux expat français en Asie, ou quand je parle à mes collègues qui voyagent beaucoup pour le boulot.

    Tu détiens la vérité, amen. :)
    (Sinon pour le boulot, t'as pas essayé de donner des cours de français, par exemple ? Ça pourrait peut-être marcher.)

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  2. l'est même pas blanche notre barrière! ;)

    Personnellement, le comportement de certains français à l'étranger ne m'étonne pas du tout. On a d'ailleurs, il me semble, très mauvaise réputation. C'est un peu comme si, ils se comportaient comme des conquistadors, ceux qui ont ou plutôt qui sont persuadés d'avoir acquis la connaissance ultime. Du coup, ils ont un regard super jugeant sur l'étranger. Et quand, ils reviennent en France, c'est les mêmes qui se la racontent sur leurs exploits fait à l'étranger.
    ça me fait un peu penser à tous ceux qui partent en vacances dans des endroits exotiques, mais en fait restent dans un hotel club à faire de l'aquagym ou à apprendre LA danse du club sans jamais prendre la peine d'aller voir ce qu'il se passe derrière les murs et revienne en disant "tu sais les gens là-bas, ils sont comme ci ou comme ça" mais en fait ils en savent rien du tout...

    Et sinon perds pas espoir pour le boulot, je suis sure que ça va finir par marcher.

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  3. @Gradlon : c'est une excellente idée, à laquelle j'avais pensé avant de partir, et qui m'était complètement sortie de la tête ^^

    @vous deux : je vois que nous sommes tous d'accord :D Mais c'est juste les Français, ou c'est tous les gens qui "voyagent"? Parce que dans un autre ordre d'idée, ça me fait penser à ce qu'écrivait Boulgine dans le bouquin que tu m'as offert, Rég, quand il rappelait que bon nombre de Japonais se font rapatrier après quelques semaines en France, notamment à Paris, tant ils sont déprimés par la froideur et l'indifférence des Français à l'encontre des touristes étrangers!
    M'enfin, y'a nous, et nous, on est des gens bien, c'est déjà ça :D

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